J’ai le sentiment de plus en plus assuré que l’un des obstacles les plus importants qui empêchent certains de mes lycéens de mener une explication de texte littéraire, c’est la distance linguistique. Pour bon nombre d’entre eux en effet, la lecture d’un roman tel que Manon Lescaut est si heurtée, cahotante, arrêtée, ralentie, encombrée, par l’incompréhension de la langue classique qu’ils abandonnent, n’ont pas le courage de faire face à une difficulté visiblement insurmontable, ou pire, pour quelques-uns : qu’ils continuent en ne comprenant pas grand-chose.
Quand je mène en classe une explication de texte, en essayant de montrer combien l’écriture est habile pour emporter le lecteur, combien le propos aiguillonne la réflexion, nombreux dès lors sont ceux qui ne parviennent pas à me suivre : l’objet dont je parle n’est en fait pas présent à leur esprit, et mon cours doit être pour eux d’un terrible ennui. Assez nombreux aussi sont ceux qui parviennent à suivre mon cours, mais en réalité ne mènent pas leur réflexion à partir du texte qui est soumis à leur sagacité : ils la mènent en fait à partir des éléments de paraphrase, de reformulation du texte que je suis inéluctablement amené à leur proposer . Je constate aussi que beaucoup d’entre eux, alors qu’ils rejettent la littérature « classique », sont attirés, intéressés, touchés, par divers textes, dès lors qu’ils sont écrits dans un français à la fois très moderne et très accessible.
Deux pistes s’offrent à moi pour surmonter cette difficulté : d’une part, leur enseigner méthodiquement la langue classique ; d’autre part, assumer de leur donner le texte dans le français facile qui les touche. J’évoque ailleurs des éléments qui explorent la première solution. Je propose ici un début d’exploration de la seconde. Je me suis efforcé de récrire le premier extrait du roman (vous en trouverez l’original ici) qu’ils devront présenter à l’épreuve orale du bac, en pensant à mes élèves les moins forts – et pourtant souvent intelligents et sensibles ! -, pour en aplanir toutes les difficultés linguistiques, tout en essayant de conserver l’intégralité du propos de Prévost. C’est en somme ce qui s’appelle une traduction. Elle en présente les qualités et les défauts habituels. Mais nous espérons qu’elle pourra aider les élèves d’une part à accéder au propos de Prévost, qui reste intéressant, même aplati par une telle traduction, et d’autre part à accéder, dans un deuxième temps au texte lui-même de Prévost, avec un style qui redouble l’intérêt du propos.
Je place donc cette traduction ici, sur le Grand Entrefilet, afin d’y pouvoir renvoyer mes élèves les plus en difficulté aussi facilement que possible.