Le dormeur du val

Voici une explication plus ou moins rédigée du fameux poème de Rimbaud, complète, après la publication des premières pages, qui ne concernaient que la lecture à voix haute. Certaines parties sont entièrement rédigées; d’autres le sont moins (le début) ; d’autres encore moins (la fin). Cela peut être un bon outil de travail. L’explication, telle quelle, est évidemment trop longue pour le format des épreuves de français au baccalauréat. Il faut savoir choisir les remarques les plus essentielles, pour se limiter aux dix minutes imparties.

0 commentaire sur “Le dormeur du val”

  1. Joli travail!
    Quelques remarques complémentaires qui valent ce qu’elles valent:
    – D’abord, sur le « trou de verdure » initial: ce n’est pas uniquement dans l’écho avec les « deux trous rouges » finaux que ce mot prépare la fin, mais aussi parce qu’il désigne littéralement l’excavation, donc la tombe ou la fosse dans laquelle on peut considérer que se trouve le soldat. Ce trou est déjà un tombeau par anticipation. Par ailleurs, « trou » est très polysémique et peut (entre autres) désigner aussi bien un endroit douillet qu’un cachot ou qu’un lieu complètement à l’écart du monde: chacun de ces sens vient entrer en résonance avec le contenu du poème.
    – Pour les glaïeuls, il y a non seulement le côté « tombe fleurie » qui saute immédiatement aux yeux, mais aussi un point (sans doute plus ténu et plus discutable) qui tient à l’étymologie, puisque « gladiolus » renvoie au thème militaire. Mais après tout, l’hypothèse n’est pas si folle quand on songe à l’excellent latiniste qu’était Rimbaud. [Il faudrait, j’y pense, aller voir dans Bachelard (L’eau et les rêves), il y a un passage sur les glaïeuls, et il me semble – de mémoire et sans certitude absolue – que Bachelard mentionne le fait qu’il est très fréquent que le glaïeul soit cité dans des paysages de bord de rivière, alors que ce n’est pas forcément son milieu naturel – il y aurait là, plutôt que le retour sempiternel d’une mention référentielle, une association courante chez les auteurs entre les sonorités du mot et l’eau qui s’écoule – il faudrait revérifier comment Bachelard explique tout ça.]
    – Dans la pose du gisant la main sur la poitrine, il y a quelque chose d’une version parodique du geste patriote, tout à fait compatible avec les autres poèmes de Rimbaud.
    – Et puis il y a toutes ces petites touches comme par exemple l’emploi de « baigner », qui sans être explicite met sur la piste d’un « accident » (après « baigner dans », on attend du sang).
    Encore bravo pour le travail et la mise en page toujours très claire!

  2. P.S. J’ai retrouvé le passage de Bachelard:

    « C’est ainsi que, pour moi, en écoutant les remous du ruisseau, je trouvais tout naturel que, dans bien des vers des poètes, le ruisseau fît fleurir le lis et le glaïeul. En étudiant d’un peu près cet exemple, on va comprendre la victoire de l’imagination du verbe sur l’imagination visuelle ou, plus simplement, la victoire de l’imagination créatrice sur le réalisme. On comprendra en même temps l’inertie poétique de l’étymologie. Le glaïeul a reçu son nom — visuellement, passivement — du glaive. Il est un glaive qu’on ne manie pas, qui ne coupe pas, un glaive dont la pointe est si fine, si bien dessinée, mais si fragile, qu’elle ne pique pas. Sa forme n’appartient pas à la poésie de l’eau. Sa couleur non plus. Cette couleur éclatante est une couleur chaude, c’est
    une flamme d’enfer ; le glaïeul s’appelle, dans certaines contrées : « la flamme d’enfer ». Enfin, on n’en voit guère effectivement le long du ruisseau. Mais, quand on chante, le réalisme a toujours tort. La vue ne commande plus, l’étymologie ne pense plus. L’oreille, elle aussi, veut nommer avec des fleurs ; elle veut que ce qu’elle entend fleurisse, fleurisse directement, fleurisse dans le langage. La douceur de couler veut, elle aussi, des images à montrer. Écoutez ! Le glaïeul est alors un soupir spécial de la rivière, un soupir synchrone, en nous, avec un léger, très léger chagrin qui s’étale, qui s’écoule et qu’on ne nommera plus. Le glaïeul est un demi-deuil de l’eau mélancolique. Loin d’être une couleur éclatante qui se souvient, qui se reflète, c’est un léger sanglot qu’on oublie. Les syllabes « liquides » amollissent et emportent des images arrêtées un instant sur un souvenir ancien. Elles rendent à la tristesse un peu de fluidité. »

    1. Merci Somnium ! Je pense que Bachelard a globalement tort, surtout quand il dit que « l’imagination créatrice » l’emporte « sur le réalisme ». Il tombe dans une forme d’intellectualisme. Les glaïeuls des marais, ça existe. Du coup, son raisonnement se casse le nez. Cela n’empêche pas les jeux sonores évoqués d’exister. Mais ils se soutiennent de l’expérience vivante, « réelle ». Rimbaud a vraiment vagabondé, a vraiment vu, senti. Bachelard dit qu’on « n’en voit guère effectivement le long du ruisseau ». On en voit, surtout quand on ne reste pas trop longtemps assis à sa table de travail… Mais peut-être dis-je cela parce que je suis en train de me promener dans le Vosges auprès de la Meurthe, dont le chant est incroyable…

      1. Oui, Bachelard brode et c’est plutôt sur les sonorités qu’il a raison, ma remarque était surtout pour prolonger. Cela dit moi aussi je vadrouille et je n’ai pas encore vu de glaïeuls en bord de cours d’eau! Mais je n’habite pas la même région et je vois que le glaïeul des marais est cantonné bien plus au nord, et du reste en régression (Ah! « Si les temps revenaient, les temps qui ne sont plus! »). Je suis d’accord pour voir chez Rimbaud une notation réaliste, connaissant le lascar. Il y a d’ailleurs pour moi une correspondance entre ce poème et « Sensation », qui décrit la fuite dans la nature (très beau poème….).

  3. J’ai ajouté quelques éléments ici et là dans le fichier, par rapport à la version d’avant-hier. Ce poème continue à vagabonder dans mon esprit…
    Oui, Somnium, avec « Sensation », et sans doute avec d’autres, y compris « Le bateau ivre », et surtout « Ma bohème ».

    1. Tout à fait. Ce soldat, même dans la mort, fait pour ainsi dire l’école buissonnière. C’est l’horreur de la guerre certes, mais aussi le choix de représenter une certaine façon de prendre congé des choses en revenant dans le sein de la Nature. Même si elle est subie par le soldat, cette mort est aussi une fuite. Si Rimbaud avait dû porter un uniforme, peut-être l’aurait-on assez vite retrouvé dans un petit val qui mousse de rayons…

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